De l'église des Dominicains au Temple Neuf : 750 ans d'histoire

1251

Les frères Dominicains, installés dans le quartier Finkwiller de Strasbourg depuis 1224 - un quartier peu habité en ce temps-là, infesté de marais et situé hors des murs de la ville - ressentent le besoin de s’établir dans un endroit plus salubre et, surtout, plus central. Ils achètent un terrain et y érigent, en 1251, une église provisoire en bois. Une église en pierre est bâtie en 1254 et consacrée en 1260.

1308

Des travaux sont entrepris pour l'église des Dominicains, devenue trop petite. Plutôt que de la démolir, on en réutilise un des bas-côtés et la nef, et on leur adjoint une seconde nef ainsi qu’un collatéral. L’ancien choeur est quant à lui détruit pour faire place à un édifice trois fois plus long que le précédent et plus haut que la nef. De par sa taille, cette église de conception profondément originale devient la deuxième église de Strasbourg - après la cathédrale -, et marque fortement l’esprit des habitants de la cité.

Après 1370...

Le mouvement des Dominicains commence à perdre de son envergure, et ce pour plusieurs raisons : la non-observance de la règle, l’abandon du principe de pauvreté personnelle, l’effondrement des ressources, une rivalité avec le clergé séculier et les chapitres de la ville.

1523

Les nouvelles idées évangéliques gagnent Strasbourg. Matthieu Zell, dont la popularité ne cesse de croître, prêche dans un sens luthérien et se marie à la cathédrale, ce qui suscite un grand écho dans la ville. L’union a été célébrée par Martin Bucer, un Dominicain défroqué, lui aussi brillant théologien, marié et installé dans la ville.

1529

La messe est supprimée à Strasbourg. Deux ans plus tard, les quatre derniers Dominicains quittent le couvent, laissant à la ville les bâtiments et la fortune que trois siècles d’habile gestion et de dons généreux avaient constitué. La Réformation constitue une profonde rupture pour le site des Dominicains. Le couvent, après sa fermeture, est transformé en lieu d’enseignement.

1538

L'église, fermée depuis le départ des derniers Dominicains, est ouverte et sert de lieu de culte aux réfugiés protestants étrangers, français, italiens et espagnols. Le premier pasteur est Jean Calvin, de 1538 à 1541.

En 1538, l'humaniste Jean Sturm inaugure la "Haute Ecole" dans les locaux de l'ancien couvent des Dominicains, qui allait devenir l'Université de Strasbourg.

1546

Lors de la guerre de la Ligue de Smalkalde, le Magistrat de Strasbourg utilise l’église des Dominicains pour y déposer ses approvisionnements en armes, munitions et vivres. Après sa victoire militaire sur l’armée protestante en 1547, l’empereur Charles Quint impose un Interim, ou règlement provisoire: la cathédrale doit être restituée à l’évêque catholique pour une période de dix ans. La paroisse protestante, qui se réunissait jusque-là à la cathédrale, reçoit en échange l’ancienne église des Dominicains. Remise en état, elle est rouverte le 9 février 1550. Après le retour du culte protestant dans la cathédrale, en 1561, l’église des Dominicains est fermée. Durant 120 ans, elle sera utilisée comme entrepôt de toutes sortes de matériaux pour les travaux de la ville.

1681

L’église des Dominicains n’est rouverte que lorsque Louis XIV impose de rendre la cathédrale au culte catholique. Elle sert à nouveau aux Protestants, sous le nom de «Prediger-Kirche» ou «Neue Kirche». Mais elle est dans un grand état de délabrement. En raison des frais élevés de remise en état, le Magistrat lance un appel à la générosité de tous les protestants strasbourgeois, paroissiens et paroisses voisines. Cet appel est couronné de succès. Grâce à ces dons, mais aussi à la bonne volonté des artisans qui exécutent à prix réduit - voire gracieusement - les travaux, l’église est rapidement réutilisable.

1749

Les frères Silbermann installent dans le Temple Neuf un de leurs plus beaux orgues, inauguré le 16 novembre 1749 par Jean-Daniel Silbermann lui-même. Les offices tenus dans l’église sont nombreux et variés. On y célèbre aussi des cérémonies officielles. Le 8 février 1751, les obsèques du Maréchal de Saxe donnent lieu dans l’église à une brillante cérémonie.

1770

Jean-Daniel Schoepflin transforme le choeur de l’église en musée, et cède à la bibliothèque des manuscrits latins, grecs, égyptiens et relatifs à l’Alsace.

1793

Sous la Révolution, le culte de toutes les confessions est interdit, pour être remplacé par celui de l’Etre suprême à la cathédrale. L’église est alors réquisitionnée pour de prétendus impératifs de défense nationale et dépouillée de tous ses ornements et mobiliers. Elle est transformée en grange à blé, puis en porcherie. Les pasteurs Blessig, Eissen et Oertel du Temple Neuf sont déclarés suspects ou déportés, partageant le sort de milliers de Strasbourgeois considérés comme ennemis de la Révolution. Cette pesante Terreur s’amenuit le 26 juillet 1794, lorsque Robespierre est  renversé. Après un nettoyage complet, les paroissiens reprennent possession de leur église en juillet 1795.

Après 1800

Le choeur du Temple Neuf devient dépositaire de l’une des plus prestigieuses bibliothèques d’Europe. Depuis la première bibliothèque publique, fondée en 1531 et installée au Temple Neuf en 1590, la bibliothèque du Temple Neuf s’est enrichie des dons et legs des professeurs et érudits locaux. Suite à la Révolution, plus de 100 000 volumes pris sur les établissements religieux et les familles nobles émigrées s’ajoutent à la Bibliothèque. Parmi les nombreux manuscrits, on trouvait le célèbre Hortus Deliciarum, les écrits des grands mystiques médiévaux (Eckhart, Tauler), les lois siciliennes de l’Empereur Frédéric II, les actes du procès de Gutenberg.

1870

La guerre franco-prussienne atteint aussi l'Alsace et Strasbourg. Lors du bombardement allemand dans la nuit du 24 août, l’église, son orgue, sa bibliothèque et le musée installé dans son choeur sont frappés par les bombes et incendiés. C’est une perte inestimable pour le patrimoine alsacien.
















1874-77

Le projet de reconstruction du Temple Neuf est confié à l’architecte Emile Salomon. Le première pierre du nouvel édifice, réalisé en grès des Vosges, est posée le 23 mai 1874. Cette même année, commande est passée auprès de Joseph Merklin pour un nouvel orgue. Il sera inauguré le 28 septembre 1877, l'église le 4 octobre. A cette époque, la paroisse du Temple Neuf est divisée en quatre communautés, ce qui permet à chaque pasteur d’avoir la sienne. Plusieurs sont des hommes d’envergure comme Georges Leblois (1853-1897), Charles Ungerer (1681-1892), Louis Kopp (1866-1898), Théodore Hoepffner (1893-1926), Gustave Haerter (1874-1903) et Paul Grunberg (1904-1919).

Depuis 1914...

Durant la Première Guerre Mondiale, le consistoire du Temple Neuf participe à plusieurs emprunts de guerre. En 1917, la paroisse est contrainte, comme toutes les autres, de céder les cloches et les tuyaux de l’orgue. En 1919, après le retour à la France, la grande bourgeoisie du Temple Neuf s’affirme comme le bastion de la francophilie. Deux des quatre pasteurs alors en fonction dans la paroisse préfèrent quitter l’Alsace. Le Temple Neuf subit de nombreux départs, souvent des Allemands, expulsés ou partant de leur plein gré. Le nombre de postes pastoraux est ramené à trois. Le troisième poste est attribué à Pierre Rauzier en 1927. Chacun des pasteurs continuera à animer une communauté particulière jusqu’en 1939.

2008

En 1989, l'orgue de l'église manifeste des signes d’usure et de vétusté tels que seules deux solutions sont envisageables: procéder à une rénovation complète de l’instrument existant ou le remplacer par un orgue neuf d’inspiration baroque. Après discussion, le Conseil presbytéral souhaite la conservation de l’instrument existant. Il s’agit non d’une d’une simple restauration, mais d’une reconstitution de l’instrument dans son état d’origine. En 2003, les travaux sont confiés à la Manufacture Bretonne d’Orgues de Nicolas Toussaint. Ils vont s’étaler sur une période de cinq ans pour s’achever au cours de l’été 2008. Cet instrument est aujourd’hui l’unique représentant de la facture d’orgue parisienne de la fin du 19e siècle à Strasbourg.